Dans le dernier Global Gender Gap Report du Forum économique mondial, l’Éthiopie apparaissait dans le top 5 des pays ayant réalisé la plus grande progression en matière d’égalité des genres, en 2019. Les critères pris en compte se concentrent dans l’accès à l’éducation, les opportunités économiques, la santé et la survie, la participation et l’émancipation politique. L’indicateur classait L’Éthiopie au 82e rang sur 153 pays

À titre indicatif, l’Islande est première, la France 15e, et le premier pays africain est le Rwanda en 9e position du fait de la féminisation de sa population à la suite du génocide, qui a tué une grande partie des hommes du pays. Dans ce rapport, le Forum économique mondial estimait qu’il faudrait attendre encore 99,5 années avant de pouvoir atteindre une égalité femmes-hommes.

Ciné-débat autour du film Women and men de Frédérique Bedos, Le projet Imagine à l’Alliance Française d’Addis-Abeba par TVB dans le cadre du projet Femmes & migrations.

Lors de notre ciné-débat autour de l’égalité femmes-hommes organisé à l’Alliance française d’Addis-Abeba, un groupe de jeunes éthiopiens nous a confié ne pas sentir réellement les mœurs évoluer mais se rassurer ainsi : « La jeu­nesse de la population éthiopienne laisse espérer une progression du droit des femmes dans le pays » (ndlr environ 60 % de la population a moins de 25 ans en éthiopie, d’après le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères). « Si l’esprit n’est pas encore formaté et qu’on arrive à montrer de nouveaux exemples, de nouvelles façons de vivre aux plus jeunes, peut-être que la place de la femme pourra évoluer dans notre pays. Il y a encore trop de petites filles excisées et mariées de force, de femmes dépendant de leurs maris, violentées, ou qui n’ont pas accès aux mêmes droits et on entend des choses horribles. Mais ce n’est peut-être que le début de notre progression et cela pourrait changer avec les années. Si on continue d’agir, peut-être que l’on verra les avancées dans le temps », nous confiait une jeune femme engagée dans des mouvements féministes.

Une jeune femme de l’Union africaine a soulevé les chiffres mis en lumière dans le film Women and Men que nous venions de projeter. « On voit dans le film les chiffres de l’Unicef de 2007, que j’ai notés et qui disent que, dans le monde, les femmes accomplissent 66 % du travail mondial, produisent 50 % de la nourriture mais ne perçoivent que 10 % des revenus et 1 % des accès à la propriété. Elles représentent 70 % des pauvres. Cette discrimination est donc un problème mondial, dans tous les pays, pas juste en Éthiopie. En Afrique, ce sont souvent les femmes qui travaillent la terre mais souvent elles n’ont pas le droit de la posséder, c’est un problème. Moi, je viens du Sud-Soudan et je connais une association au Soudan, Mygoma, qui a créé un orphelinat et s’occupe de récupérer les bébés abandonnés dans la rue à leur naissance, la plupart parce que ce sont des filles. Le poids de la tradition est lourd et les discriminations nombreuses. Je pense que nous devons nous aussi les femmes ne plus accepter ces discriminations et être solidaires, nous entraider pour faire progresser nos droits. Ce n’est pas une valeur occidentale associée à la perte de nos traditions, c’est une question de droit et de respect de chacun et de chacune, pour que l’on puisse tous vivre en paix, sans discrimination quelle qu’elle soit. »

Une volonté d’intégrer les femmes à la vie publique et politique

La République fédérale démocratique d’Éthiopie est actuellement le seul pays d’Afrique à avoir une présidente à sa tête. Mme Mlambo-Ngcuka, aujourd’hui directrice exécutive d’ONU Femmes, a été vice-présidente d’Afrique du Sud de 2005 à 2008 et supervisait notamment les programmes de lutte contre la pauvreté, à destination des femmes en particulier. Mme Sahle-Work Zewde, ancienne fonctionnaire de l’ONU, est donc la deuxième femme à la tête d’un état africain et compte agir pour l’éducation des petites filles. Elle a été élue par le parlement fédéral composé de la Chambre des représentants des peuples (HPR) et de la Chambre de la Fédération. Son rôle reste essentiellement honorifique. Le Premier ministre éthiopien, M. Abiy Ahmed, a également confié la moitié de ses ministères à des femmes dont ceux de la Défense et de la Paix. Le Premier ministre, qui aurait déclaré que « les femmes sont moins corrompues que les hommes », a également nommé Mme Meaza, fondatrice de l’association des femmes juristes éthiopiennes, à la tête de la Cour suprême. Cette dernière est devenue célèbre dans les années 1990 lorsqu’elle assurait la défense d’une jeune femme qui avait tué son mari parce qu’il l’avait enlevée, violée et mariée de force à 14 ans. En gagnant le procès, elle faisait évoluer la loi éthiopienne qui interdit désormais l’enlèvement en vue d’un mariage. Cette histoire a notamment était reprise dans le film Difret (« courage » en amharique) produit par Angelina Jolie.

Les femmes occupent des rôles de plus en plus importants dans la vie publique et politique. Henok Teferra Shawl, ambassadeur d’Éthiopie en France, nous explique : « Nous sommes convaincus que notre développement ne se réalisera pas sans le concours des femmes et la participation des femmes à tous les échelons. Nous avons donc une politique volontariste et cela se traduit notamment dans nos représentants politiques. Notre présidente est une femme, mais notre présidente de la Cour suprême également, et la moitié des membres du cabinet du Premier ministre sont des femmes. Nous avons aussi des femmes dans des rôles importants et puissants de la société, des femmes juges, des femmes dans la haute fonction publique, etc. Nous devons construire notre pays avec le concours de 51 % de la population. »

Henok Tefarra Shawl,
Ambassadeur d’Éthiopie en France

Le Premier ministre, Dr Abiy Ahmed, est d’ailleurs reconnu par la communauté internationale pour son travail pour l’égalité femmes-hommes et la paix renforcée et signée avec l’Érythrée lui a permis de recevoir le prix Nobel de la paix en 2019. Sur place, les Éthiopiens sont plus partagés, notamment à cause des conflits qui opposent les ethnies principales du pays. Le pays compte plus de 80 ethnies et les deux plus importantes, les Oromos – 34 % de la population – et les Amharas – 27 % – s’opposent violemment (assassinats, etc.). Les Tigréens (environ 6 % de la population) étaient au pouvoir jusqu’à l’arrivée de Abiy Ahmed en 2018. Celui-ci, le premier Oromo à accéder à la primature dans l’histoire moderne de l’éthiopie, a libéré les opposants politiques, rétabli des libertés fondamentales et permis le vote au parlement du retrait de tous les groupes armés de la liste des terroristes (Oromo Liberation Front, Afar Liberation Front, etc.) pour encourager le retour des groupes d’opposition et garantir la liberté d’expression. Il aurait également appelé les éthiopiens qualifiés qui ont migré à revenir au pays pour l’aider à le développer. Pour M., issu de la communauté tigréenne au nord du pays, il fait moins bien que l’ancien Premier ministre tigréen qui avait développé économiquement le pays et le fragilise en permettant l’opposition armée. Pour E., issu de la communauté Oromo au sud-est du pays, Abiy Ahmed, alors qu’il est Oromo, ne met pas suffisamment en avant sa communauté, qui est la plus grande du pays et devrait donc représenter l’Éthiopie. Pour A., de la communauté Amhara, au centre du pays, il ne défend pas assez les Amharas, qui subissent des attaques violentes des Oromos, notamment en probable répression de possibles traces d’esclavage des Oromos par les Amharas, et sur lesquelles il fermerait les yeux voire les aiderait dans un esprit complotiste, alors que sa femme est Amhara. Pour M., qui se considère seulement éthiopien, il a le mérite de vouloir parler de l’Éthiopie en général sans la séparer en ethnies qui s’opposent depuis trop longtemps. Les prochaines élections générales qui devraient se tenir à l’été 2020 représentent un enjeu majeur pour maintenir les volontés paritaires du gouvernement et une paix fragilisée par le nationalisme ethnique.

Une représentation des femmes qui évolue

À Addis-Abeba, capitale du pays, nous pouvons croiser des femmes agents de sécurité ou propriétaires de petits commerces, la gentrification des métiers semble parfois dépassée et l’égalité s’installer dans certains lieux. Pour confirmer cette impression, nous avons échangé avec Meseret Manni, la première femme à avoir entraîné une équipe de football masculine en Afrique. L’ancienne joueuse internationale, qui nous confie « avoir arrêté de jouer au football à cause d’une blessure », est devenue le coach officiel du club de sa ville de naissance, Dire Dawa, à l’est du pays, en 2015. Elle pousse le club jusqu’à la première division et entraîne l’équipe féminine nationale.

Pour elle, « l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas encore atteinte, nous les femmes nous avons de grosses difficultés mais il y a des progrès. Depuis une dizaine d’années environ, il existe un championnat féminin et une dizaine d’équipes en première division, où les joueuses sont elles aussi désormais payées. Mais nous devons continuer à lutter et faire prendre conscience, à tout le monde, que les femmes peuvent tout faire, il faut juste leur laisser une chance. Mon histoire le prouve. J’ai mené une équipe d’hommes de la ligue nationale (équivalent CFA en France) à la première ligue (équivalent première division en France). Il suffit de nous faire confiance. C’est un combat qui doit venir des femmes mais aussi des hommes ». Elle note une évolution dans le pays, où les filles qui jouent au football ou deviennent sportives professionnelles sont moins mal jugées et parfois même soutenues, mais insiste sur le fait que c’est un combat collectif pour permettre à chacun d’avoir le droit de faire ce pour quoi il est compétent.

Aujourd’hui directrice de la Messi Dire Academy Football Club à Dire Dawa, elle continue également d’entraîner l’équipe nationale féminine et espère la faire se qualifier pour les Jeux olympiques. En décembre 2019, en Sierra Leone, Victoria Conteh, ancienne joueuse internationale, est devenue coach du club East End Tigers FC et ainsi la deuxième entraîneuse d’une équipe masculine en Afrique. Des femmes inspirantes qui font naître l’espoir d’une évolution vers plus d’égalité.

Une politique solidaire en matière d’accueil
des réfugiés

L’Éthiopie recense aujourd’hui entre 102 et 110 millions d’habitants, affiche un taux de chômage d’environ 5 % et une croissance d’environ 7 % (source Banque mondiale). Il s’agit du deuxième pays d’Afrique en termes de démographie mais, malgré une croissance importante, la pauvreté reste élevée notamment en milieu rural où vit environ 80 % de la population. La paix signée avec l’Érythrée en 2018 (qui a valu le prix Nobel au Premier ministre éthiopien, le réel pouvoir exécutif du pays) et la loi promulguée le 17 janvier 2019 qui donne droit aux réfugiés présents sur le territoire éthiopien de travailler, aller à l’école et avoir des comptes en banque attirent de plus en plus de réfugiés de la Corne de l’Afrique. Ces réfugiés fuient des pays en proie à des guerres comme le Yémen ou la Somalie ou des pays autoritaires comme le Soudan. L’ambassadeur d’Éthiopie en France nous confiait : « Nous voulons être solidaires malgré nos petits moyens. »

L’Éthiopie, qui se dit fière d’avoir été gouvernée par la reine de Saba, a choisi le slogan touristique « Terre d’origines ». De ce pays souvent considéré comme le berceau de l’humanité, nous espérons avoir relaté les prémices d’une évolution favorable du droit des femmes et de leur place en Éthiopie, mais également en Afrique et dans le reste du monde.

L’Union africaine, qui siège à Addis-Abeba, a d’ailleurs dédié cette année 2020 à « l’accélération des actions et efforts pour mettre fin aux guerres, aux conflits civils, aux violences de genre et à la prévention des génocides » en reconnaissant le rôle des femmes africaines, souvent les premières victimes des conflits, dans l’atteinte de cet objectif. La Burkinabé Minata Samaté Cessouma, commissaire aux affaires politiques de l’Union africaine, a d’ailleurs annoncé dernièrement « reconnaître et amplifier la place des femmes et des filles pour faire taire les armes à feu en Afrique » comme thématique d’un pré-sommet du Gender is my agenda campaign (GIMAC). Nous ne pouvons que souhaiter que l’évolution vers la parité induise l’évolution vers un monde en paix, et que les deux soient en chemin.

Laurianne Ploix

Elles font évoluer les mœurs par la culture

Nous avons échangé avec Bruktawit Tigabu de Whiz Kids Workshop, une entreprise de production de contenus audiovisuels. La jeune femme est devenue célèbre en Éthiopie avec le dessin animé largement récompensé Tsehai loves learning. Diffusé à la télévision locale et suivi par plus de 5 millions d’enfants, les aventures de Tsehai la girafe sont également diffusées à la radio pour toucher environ 20 millions d’enfants. Pour la jeune femme, les émissions de télévision représentent le meilleur moyen pour éduquer rapidement de nombreux enfants dans son pays. Whiz Kids Workshop réalise également des séries télévisées pour les jeunes, créées avec les jeunes, comme les programmes Involve Me ou Little Investigators. Ces dernières années, l’équipe travaille sur l’égalité femmes-hommes et le droit des petites filles. En 2014, un Involve me : watch me consacré à l’éducation des jeunes filles a vu le jour en langue wolaita, parlée dans le Sud-Ouest éthiopien. Les livres et vidéos défendant le droit d’accès des petites filles à l’école et illustrés par leurs témoignages ont été distribués dans une centaine d’écoles de la zone. Ces dernières années, Bruktawit, son mari et son équipe ont également lancé la série animée pour jeunes adolescents Tibeb Girls qui met en scène trois jeunes filles super-héros. La série a pour objectif de montrer des exemples de femmes indépendantes qui s’assument, s’accomplissent et trouvent des solutions aux problèmes. Pour la maman d’une jeune adolescente qu’est Bruktawit, cette série vise à donner des exemples inspirants et stimulants pour les jeunes filles, pour leur avenir.

L’organisation britannique Girls effect finance les créations artistiques du girls band éthiopien Yegna. Cinq jeunes filles éthiopiennes abordent dans leurs chansons des sujets tabous comme les mariages forcés ou la migration des jeunes sur une musique pop. Les jeunes femmes sont très populaires et cumulent des milliers de vues sur YouTube. Elles ne s’arrêtent pas à la musique et proposent des podcasts et des émissions de télévision ou de radio, toujours sur le thème du droit des femmes et de leur émancipation. Selon Girls effect, 76 % des filles qui écoutent Yegna disent que le groupe les a encouragées à continuer leur scolarité et 65 % des auditeurs auraient changé leur vision des filles.

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